CMDR - Corps : Méthodes,  Discours, Représentations

En pro­lon­ge­ment de la séance « le corps dan­sant », le site du labo­ra­toire accueille les comp­tes-rendus des spec­ta­cles de la Maison de Danse par Chloé Richer. Il pro­pose également quel­ques liens vers l’actua­lité du corps dan­sant.

Actualité

Le Parcours Danse HIP HOP & ARTS NUMERIQUES se dérou­lera du 25 sep­tem­bre au 3 octo­bre 2013 sur le campus LyonTech La Doua à Villeurbanne.

Liens

Agon, Revue des arts de la scène.

Atelier des Doctorants en Danse

Spectacles de la Maison de la Danse de Lyon

« Mais l’on se dit à la fin que la recher­che for­ce­née d’un sens, au risque de ne pas tou­jours retom­ber sur ses pieds, c’est ce qui nous reste du besoin du ver­tige quand on ne connaît plus que le destin des assis. » G. Macé

Critiques

Swan

Les 7 doigts de la main : cap ou pas cap ?

Harlem swing : faites votre comédie !

« Eh bien, dansez maintenant. »

Corps étranger. Aller au spec­ta­cle, c’est partir à la décou­verte du corps, mais pas n’importe lequel : pas celui, habi­tuel, véhi­cule de notre rou­tine métro-boulot-dodo. Si un public tou­jours plus nom­breux pousse les portes de la Maison de la danse, c’est au contraire pour décou­vrir un corps qui fait monde : le corps dan­sant. Pourquoi ce par­ti­cipe pré­sent ? Parce que, pour une fois, il ne s’agit pas d’envi­sa­ger le résul­tat, mais le pro­ces­sus. D’où la dif­fi­culté de ce que nous nous pro­po­sons ici de faire à tra­vers des chro­ni­ques/cri­ti­ques/impres­sions de spec­ta­cle.

La danse, ou quand le corps fait monde

En fait d’art poé­ti­que – bien pré­somp­tueux pour des textes qui n’ont d’autres ambi­tion que de faire par­ta­ger des moments de spec­ta­cle pur – voici ce dont il ne s’agira pas. Il ne s’agira pas de pro­po­ser une her­mé­neu­ti­que de ce qu’on peut dif­fi­ci­le­ment défi­nir comme un lan­gage cor­po­rel : où les voyez-vous, les pho­nè­mes, sémè­mes et autres unités bar­ba­res ? Pas ques­tion non plus de cher­cher à tout prix une signi­fi­ca­tion en for­çant chaque geste dansé, soit qu’il ne nous reste qu’une logi­que de l’énergie, soit que l’on adopte la vision de Merce Cunningham : « (…) si un dan­seur danse, tout est déjà là. Le sens est là, si c’est ce que vous voulez. (…) Quand je danse, cela signi­fie : ça, c’est ce que je suis en train de faire. Une chose qui est juste cette chose-là. » Voilà donc ce qui nous occu­pera : le « ça », cette « chose-là », ce « machin ». Freud et la famille Adams n’ont qu’à bien se tenir, « ça » ne sera pour nous que l’impres­sion glo­bale du spec­ta­teur. Pas une extrac­tion forcée d’un sens caché, mais celui qui s’impose natu­rel­le­ment, ou son absence même. Une sen­sa­tion glo­bale du non dan­seur, de celui qui est devant, bien ins­tallé dans son fau­teuil – moel­leux qui plus est, merci la Mdld – et observe, fas­ciné, les tor­sions et contor­sions d’un corps qui est à la fois le même, mais sur­tout un autre. Et le monde qu’il cons­truit, par son mou­ve­ment même.

La danse : dialogue avec un autre (que) moi

La danse nous donne à voir ce que nous nous effor­çons de cacher dans notre vie quo­ti­dienne, dans nos gestes fonc­tion­nels : au dan­seur, on ne demande pas de régler son corps sur un geste géné­ral qui doit revê­tir une fonc­tion, dans la mise en place d’une com­mu­ni­ca­tion. Seul le corps dan­sant n’efface pas la sin­gu­la­rité de chaque mou­ve­ment micro­sco­pi­que. José Gil affirme qu’il y a « Mieux : sous l’effa­ce­ment de la ten­dance à la sin­gu­la­rité de la quasi-arti­cu­la­tion du corps perce par­fois ce qui le sous-tend, le fan­tasme du corps informe, du mons­tre, du corps fou, sau­vage et vio­lent ; le fan­tasme du vis­cé­ral, du corps sale ou du corps mor­ti­fère épidémique. » (2000 : 35) Seulement voilà : cette (dés)arti­cu­la­tion des mou­ve­ments, que le dan­seur détaille face aux grands miroirs de la salle de répé­ti­tion, le spec­ta­teur les reçoit en pleine figure. Le miroir, c’est le « qua­trième mur ». Tout de suite, les fau­teuils se font moins confor­ta­bles...

Entrez dans la danse

Donc ce corps qui vous met mal à l’aise, là, sur cette scène, c’est le vôtre. Vous aussi, vous êtes pris dans son mou­ve­ment. Vous pen­siez avoir marché jusqu’à votre place, puis vous être bien calé, inerte, dans votre siège ? Et bien Laban, en opé­rant un retour au corps, à tous les corps, a démon­tré ceci : le corps est tou­jours pris dans le mou­ve­ment. La pers­pec­tive est ren­ver­sée ; le mou­ve­ment n’est plus trajet entre deux posi­tion fixes, mais c’est l’immo­bi­lité qui devient pas­sage. D’où le choix d’une forme en -ant. Et les four­mis qui vous cou­rent dans les jambes. Cette trans­for­ma­tion per­pé­tuelle, qui empê­che toute sta­bi­lité, toute pesan­teur du corps dan­sant cor­res­pond à la légè­reté telle que l’envi­sage Deleuze (avouez qu’il vous man­quait) : le poids devient force, moteur du branle. Bref c’est la défaite du corps tel que vous l’ima­gi­niez, machine inerte faite d’orga­nes bien pesants. Mieux que toute chi­rur­gie, la danse a gagné son pari : votre corps n’est plus le même. Spectateur, vous par­ti­ci­pez à l’expé­ri­men­ta­tion cho­ré­gra­phi­que, vous seul pouvez inté­grer la frag­men­ta­tion du geste et le « che­vau­che­ment (…) des séquen­ces micro­sco­pi­ques » (Gil, 2000 : 35) dans une conti­nuité. Continuité tem­po­relle du mou­ve­ment, mais aussi du spec­ta­cle. C’est pour­quoi la danse peut s’adres­ser à tous, pour peu qu’on tente, comme ici, d’en faire un habi­tus : « C’est comme si on entrait dans une maison étrange et qu’on devait suivre des tra­jets non connus. Après un cer­tain temps, les tra­jets ne sont plus étranges. » (Cunningham, 1951 : 56). Ce corps n’est plus si étranger. Vous êtes entré dans la danse. Chloé Richer

Bibliographie succinte :
  • Cunningham Merce « Choregraphy and The Dance », The danse has many faces, New-York, World publishing, 1951.
  • Deleuze Gilles, Différence et répétition, Paris, PUF, Paris, 1968 ; Logique du sens, Paris, Minuit, « Critique », 1969.
  • Gil José, « La danse, le corps, l’inconscient », Terrain n°35, p. 57-74, 2000.
  • Jacoby Estelle, « Penser la danse avec Deleuze », Littérature, n°128, p. 93-103, 2002.
  • Lange Roderyck, Laban’s principles of dance and movement notation, Mac Donalds & Evans, 1975.