CMDR - Corps : Méthodes,  Discours, Représentations
 

Les axes de recherche du laboratoire junior

Axes de recherche

Axe principal : le corps, les théories et la méthode.

Le pro­blème essen­tiel dans les recher­ches sur le corps est un pro­blème de méthode : en fonc­tion de l’appro­che pro­po­sée, des ques­tions que l’on pose au corps, on cons­truit un objet corps repo­sant sur un ou plu­sieurs des dis­cours que nous avons recen­sés. Bien loin de vou­loir réduire le ques­tion­ne­ment sur le corps à un seul enjeu ou à une seule dis­ci­pline, nous avons décidé d’affron­ter fron­ta­le­ment le pro­blème de son équivocité, puis­que nos objets de recher­che posent eux-mêmes des pro­blè­mes d’unité métho­do­lo­gi­que. Notre pre­mier axe de recher­che vise dès lors à tenter de rendre légi­time l’inter­dis­ci­pli­na­rité dans le cadre d’une étude sur le corps. L’inter­dis­ci­pli­na­rité ne peut être accep­tée que si le cher­cheur se défi­nit d’abord par rap­port à une dis­ci­pline ou une méthode d’inves­ti­ga­tion par­ti­cu­lière, un point d’ancrage concep­tuel et métho­do­lo­gi­que précis. Il s’agit de tirer profit des per­méa­bi­li­tés, des croi­se­ments et du dia­lo­gue que chaque dis­ci­pline peut envi­sa­ger avec les dis­ci­pli­nes voi­si­nes. La recher­che porte sur les modes de pensée, les lieux de pro­duc­tion et de dif­fu­sion des dis­cours sur le corps, la dyna­mi­que des inte­rac­tions cultu­rel­les, les pra­ti­ques, les méca­nis­mes d’appro­pria­tion de son corps. Il s’agira de défi­nir clai­re­ment les champs théo­ri­ques convo­qués par les cher­cheurs, d’inter­ro­ger la légi­ti­mité d’une appro­che plutôt qu’une autre et donc, en défi­ni­tive, de sta­bi­li­ser autant que faire se peut le champ de l’épistémè du corps. Comme le dit Andrieu, le corps est un objet inter­dis­ci­pli­naire dont « la modé­li­sa­tion est indé­fi­nie selon le croi­se­ment des modè­les qui vou­draient l’objec­ti­ver entiè­re­ment. Le corps est un objet mobile, dyna­mi­que et vivant dont la connais­sance est émergente »1. On ten­tera donc d’ana­ly­ser « les enjeux, les fonc­tions, les signi­fi­ca­tions, les moda­li­tés théo­ri­ques et ana­ly­ti­ques qui se sont déployés au fil de l’his­toire et des dis­ci­pli­nes »2 et, pour ce faire, d’étudier le statut épistémique de chaque savoir, dans son his­toire scien­ti­fi­que mais aussi dans ses usages sociaux et intel­lec­tuels. Le corps ne cesse d’échapper à la caté­go­ri­sa­tion, puis­que comme le signale Michel de Certeau : « Le corps est l’autre qui fait parler, mais qu’on ne fait pas parler. Il faut remon­ter à ce corps – nation, peuple, milieu – dont la marche a laissé les ves­ti­ges avec les­quels l’his­to­rien fabri­que une méta­phore de l’absent »3. Mais cet absent est lui-même irré­duc­ti­ble : l’impos­si­ble élimination de sa matière ne peut per­met­tre sa liqui­da­tion en un pur dis­cours : nos métho­do­lo­gies de recher­che devront tenter de se confron­ter à cette maté­ria­lité. Enfin, on peut rapi­de­ment évoquer le pro­blème que sou­lè­vent les théo­ries du gender. Comment cons­ti­tuer l’épistémologie de ces théo­ries ? Faut-il un sujet épistémique – une femme cher­cheuse – ou l’étude fémi­niste est-elle fémi­niste par son objet ? Face à l’ensem­ble des ques­tions du corps, on pour­rait tenter de tracer des réseaux concep­tuels pour mon­trer com­ment un concept, l’image du corps par exem­ple, prend un sens dif­fé­rent selon les notions qu’il tra­verse. On peut ici citer Bernard Andrieu qui pro­pose un cadre géné­ral où fonder les ana­ly­ses épistémologiques :

« L’épistémologie du corps aper­çoit le corps comme un objet mul­ti­va­lent dont les signi­fi­ca­tions sont à situer les unes par rap­port aux autres dans une arbo­ri­sa­tion épistémologique de l’objet cor­po­rel. Un réseau du champ peut être des­siné pour la com­plexité des liens entre les concepts adja­cents au thème prin­ci­pal. Cela exige aussi un décen­tre­ment épistémologique pour mon­trer les dépla­ce­ments de signi­fi­ca­tion, les impor­ta­tions et les expor­ta­tions. La reprise des concepts dans des dis­ci­pli­nes dif­fé­ren­tes à propos d’un même thème permet d’inter­ro­ger la filia­tion, la réfé­rence com­mune, les modes de des­crip­tion d’un même objet. Comment un même objet peut être décrit par un même concept avec des signi­fi­ca­tions dif­fé­ren­tes ? Mais l’épistémologie du corps doit pré­ci­ser aussi les écarts les dif­fé­ren­ces entre les dis­ci­pli­nes, voire leurs incom­men­su­ra­bi­li­tés. »4

Cet axe prio­ri­taire impli­que donc une véri­ta­ble démar­che réflexive qui fon­dera toutes les com­mu­ni­ca­tions ou publi­ca­tions des mem­bres du labo­ra­toire junior mais aussi des inter­ve­nants exté­rieurs.

Axes secondaires :

Le corps, un enjeu de pouvoir et de savoir social et politique : normes, discours et transgressions

Au coeur du pro­ces­sus éducationnel, le corps syn­thé­tise les enjeux poli­ti­ques, moraux et socio­lo­gi­ques de son époque. L’inté­gra­tion cor­po­relle des normes de la civi­li­sa­tion doit nous amener à inter­ro­ger les pro­ces­sus éducatifs à l’oeuvre dans les socié­tés et peut nous per­met­tre de trou­ver un point d’entrée effi­cace dans les domai­nes de l’his­toire cultu­relle et de l’his­toire des men­ta­li­tés. Le corps des mar­gi­naux d’une société, les femmes, les pri­son­niers, les artis­tes cons­ti­tuent un corpus pos­si­ble pour com­pren­dre le jeu des normes et des trans­gres­sions opé­rant dans des espa­ces cultu­rels défi­nis. A ce titre, l’inter­ro­ga­tion sur la vio­lence, à la fois comme fait social mais aussi comme méthode de repré­sen­ta­tion, doit être cen­trale. La sexua­lité cons­ti­tue enfin dans ce même cadre un enjeu essen­tiel, qui ins­taure une dia­lec­ti­que entre normes et trans­gres­sions. Nous pour­rons l’inter­ro­ger grâce au prisme des théo­ries du gender.

Le corps comme source de nouveaux discours et de nouveaux langages

Cet axe permet de réunir de nom­breu­ses appro­ches et peut nous amener à repen­ser la sépa­ra­tion du corps et de l’âme. La théo­ri­sa­tion de l’incons­cient et l’avè­ne­ment de la psy­chia­trie, de la psy­cho­lo­gie et de la psy­cha­na­lyse condui­sent à inter­ro­ger le corps comme source de lan­gage et de cohé­rence étrangère à la raison. La prise en compte de ce nou­veau lan­gage conduit l’art à modi­fier ses pra­ti­ques de repré­sen­ta­tion du corps. Le lan­gage du corps peut également ren­voyer aux théo­ries maté­ria­lis­tes et cog­ni­ti­vis­tes envi­sa­geant le corps comme source même de la ratio­na­lité, puis­que l’esprit serait une faculté céré­brale. Il fau­drait aussi lier les scien­ces humai­nes aux scien­ces comme la bio­lo­gie, envi­sa­ger les influen­ces réci­pro­ques et voir par exem­ple les renou­veaux artis­ti­ques qu’entraîne la décou­verte des fon­de­ments chi­mi­ques – l’adn – du corps. On peut ainsi penser aux œuvres d’Eduardo Kac, qui intè­grent les mani­pu­la­tions géné­ti­ques dans des orga­nis­mes comme la célè­bre lapine Alba, dotée de la pro­téine fluo­res­cente verte.

Le corps, la création artistique et la représentation

Le corps joue un rôle dans le pro­ces­sus de créa­tion lui-même. A l’ori­gine de la repré­sen­ta­tion, moyen de la repré­sen­ta­tion et régu­liè­re­ment objet de la repré­sen­ta­tion, le corps est pré­sent à toutes les étapes de la créa­tion. Il faudra voir com­ment penser ce trajet cor­po­rel et com­ment le corps engage dif­fé­ren­tes étapes – et donc dif­fé­ren­tes tem­po­ra­li­tés – du pro­ces­sus de créa­tion d’une œuvre, de la créa­tion (on peut penser à l’action pain­ting de Pollock ou aux anthro­po­mé­tries de Klein) jusqu’à sa dic­tion, mons­tra­tion (per­for­mance). La ques­tion de la figu­ra­tion des corps ouvre également le champ du sens à accor­der à la pro­duc­tion d’images : la ques­tion reli­gieuse de l’image du corps, l’impor­tance de la figu­ra­tion ou non d’un pos­si­ble corps de Dieu sont le ter­reau de l’art occi­den­tal. A ce propos, il sera utile de s’inter­ro­ger avec Giorgio Agamben5, sur la puis­sance du fan­tasme, à la ques­tion de l’unité du corps et au pro­ces­sus de sym­bo­li­sa­tion à l’œuvre dans le corps comme dans l’art.

Bernard Andrieu , « Quelle épistémologie du corps ? » , Corps, 2006/1 n° 1, p. 15

P. Dubois & Y. Winkin , Rhétoriques du corps. Paris, De Boeck, 1986, p. 8

Michel de Certeau, L’absent de l’histoire, Paris, Éd. Repères-Mame 1973, p. 179

Bernard Andrieu , « Quelle épistémologie du corps ? » , Corps, 2006/1 n° 1, p. 19

Georgio Agamben, Stanze  : paroles et fantasmes dans la culture occidentale, Paris, Payot & Rivages, coll. Rivages poche petite bibliothèque, 1998